Notre « État de la pauvreté en France 2022 »
Crise financière, crise sanitaire, guerre aux frontières de l’Europe, inflation, événements climatiques extrêmes… Nous sommes dans une ère d’incertitudes multiples. Pour celles et ceux qui n’ont aucun coussin d’amortissement, le choc peut être extrêmement douloureux. C’est le cas des personnes aux conditions de vie les plus précaires, qui ont été le plus durement affectées par la crise née du Covid-19.
Tel est le principal enseignement du rapport statistique 2022 du Secours Catholique sur l’état de la pauvreté en France. À l’appui de ce constat, une étude dédiée à l'impact de la crise sur les budgets des plus précaires. Elle a été menée en partenariat avec des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l’université Paris-Saclay. Les données ont été recueillies auprès d'un échantillon de près de 9000 ménages accueillis par l'association, avant et durant la crise sanitaire.
Cette analyse du budget des ménages met en évidence des profils de précarité diversement affectés. Les femmes seules, en particulier, ont vu leur budget, déjà très contraint, fortement déséquilibré par les pertes de revenus engendrées par la crise sanitaire. Autre population peu ou mal servie par les aides publiques mises en place pour compenser les effets de la crise, les étrangers au statut légal instable ont vu leurs difficultés accentuées.
L'étude du Secours Catholique montre que les politiques publiques ont la capacité de cibler les ménages repérés comme à risque d’être étranglés financièrement. Autrement dit, une politique volontariste pourrait éliminer la grande pauvreté dans notre pays. Mais les mesures prises jusque là ont laissé de côté des populations dont la crise a révélé la grande vulnérabilité. Certains ménages se retrouvent ainsi dans une pauvreté qui pourrait devenir chronique, au regard du poids des dépenses contraintes (loyer et énergie notamment) dans leur budget. Un fardeau qui pèse d'autant plus lourd dans le contexte actuel de l'inflation.
C'est pourquoi le Secours Catholique renouvelle son appel à augmenter le pouvoir de vivre des ménages les plus fragiles :
- par l'accès à un emploi et un salaire décent ; et un accompagnement de long terme
- par l'augmentation des minima sociaux à hauteur de 40% du revenu médian, leur indexation sur l’inflation et l'accès au RSA, sous conditions de ressources, pour les 18-25 ans et les personnes étrangères dès l’obtention d’un titre de séjour ;
- par une politique active de lutte contre le non-recours aux prestations sociales.
L'éditorial
Placer la dignité au cœur de nos choix politiques
Par Véronique Devise, présidente du Secours Catholique - Caritas France et Adelaïde Bertrand, déléguée générale.
Pour les personnes les plus vulnérables, chaque crise est une épreuve. Et chaque épreuve révèle l’essentiel de nos vies, comme l’état de notre société. C’est d’abord l’équilibre budgétaire qui est mis à l’épreuve, comme le documente notre rapport, en revenant sur l’impact de la crise sanitaire.
Pour saisir la tension extrême dans laquelle se retrouvent les ménages que nous rencontrons, il ne suffit pas de constater la faiblesse de leurs ressources (niveau de vie médian de 548 € en 2021). Il faut en mesurer la variabilité qui, notamment en période de crise, fait basculer des ménages moins précaires dans la pauvreté. Il faut surtout la conjuguer à l’importance des dépenses pré-engagées (loyer, chauffage, téléphone...) qui pèsent 60% de leur budget (contre 30% dans la population générale), pour comprendre les privations quotidiennes et l’absence totale de marge de manœuvre.
« Il y a des besoins vitaux qu’on ne peut pas satisfaire, pour manger, pour se chauffer, pour se soigner parfois », rapporte un groupe de personnes en situation de précarité engagées au Secours Catholique, dans le Rhône. Dans ce contexte, il y a bien plus que le budget qui est mis à l’épreuve. À commencer par l’équilibre psychique : « Nous avons une peur perpétuelle : est-ce que ce mois-ci, nous allons réussir à aller au bout ? », « Il ne peut pas y avoir de place pour les imprévus ».
Chaque choix de dépense devient cornélien : « Tous les jours se pose la question : qu’est-ce que je paie en premier ? ». Confrontées à ces choix impossibles, les personnes les plus démunies nous poussent à repenser à ce qui est prioritaire. Elles nous disent qu’il est essentiel d’être regardé comme une personne et non pas stigmatisé, de pouvoir vivre dignement, même dans la sobriété subie, de compter pour quelqu’un –certaines citent Dieu – et de nourrir leur spiritualité. Elles nous disent l’importance de pouvoir donner : donner du sens à sa vie, offrir à ses enfants l’opportunité d’une vie meilleure, « réconforter d’autres mamans qui ne savent pas comment s’en sortir ».
Les crises mettent enfin la cohésion de nos sociétés à l’épreuve. Car malgré les aides publiques qui ont pu atténuer le choc, les situations de grande pauvreté perdurent et mettent à mal notre devise républicaine. Elles constituent une restriction de liberté, quand le reste à vivre ne permet pas même de manger et de se chauffer, et surtout de se projeter dans l’avenir. Elles dénient l’égalité fondamentale entre êtres humains, censée se traduire en droits mais aussi en faits, en tenant l’engagement inscrit dans notre Constitution d’offrir à chacun « des conditions convenables d’existence ». Elles rendent difficile la fraternité, qui ne saurait se fonder sur de telles injustices.
La crise du Covid-19 n’en a pas fini de revenir, vague après vague, que déjà l’inflation menace de se transformer en déferlante sur les ménages les plus vulnérables. Il est encore temps d’éviter l’aggravation de leur situation. Pourvu que l’on place la dignité inaliénable de chaque être humain au cœur de nos choix politiques et de nos priorités. Nous sortirions collectivement grandis de ces épreuves si l’on permettait à chacun de s’extraire de la grande pauvreté.
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l'urgence d'une politique structurelle